📜 EdM : La plus grande cathédrale au monde
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Une lecture récente m’a emmené quelques siècles en arrière, à cette époque extraordinaire de l’Historie où l’art était à son apogée, où les corporations ouvrières réinventaient le monde, et où les hommes tutoyaient les dieux sur leur propre terre. Vous l’aurez compris, je vous emmène à l’époque gothique, au temps des cathédrales car, vous l’ignorez peut-être, mais son plus somptueux vaisseau, celui de tous les records, était… liégeois !
Et oui, de Liège, la ville millénaire (doublement millénaire même si l’on considère la prospérité de la Cité à l’époque Romaine à partir du Ier siècle et non le sacre de Notger en 980 marquant la naissance de la Principauté) a durant des années abrité rien de moins que LA cathédrale de tous les records : la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert.
(Gravure sur cuivre de Milheuser en 1649)
Mais comme toute chose inscrivant son histoire dans le temps, elle ne s’est pas construite en un jour. Je vous relate donc, dans les grandes lignes, la petite histoire de la construction de cette arche de lumière.
Nous sommes en l’an 705. L’évêque de Maastricht (dont dépend alors le sol liégeois) est assassiné à proximité de l’ancienne Villa Romaine où il avait l’habitude de se retirer sur les bords de Meuse (une chapelle et quelques bâtiments annexes avaient été greffés à la villa originelle.) Son successeur, l’Évêque Hubert décide de faire ériger une église à l’emplacement où son prédécesseur a été assassiné et d’y placer les reliques du pauvre bougre. Ceci lui vaudra d’être renommé Hubert de Liège. Cette première église, composée d’une simple nef et d’une abside mesure alors 15m par 50, dimensions utiles pour accueillir les pèlerins venant se recueillir en hommage à l’évêque martyr. Cette église étant un Martyrium, il est décidé, chose peu commune, d’orienter son cœur vers l’Ouest et non vers l’est... En effet, d’une part, il y a la tradition du culte du soleil levant qui veut que l’on recherche le divin là où la lumière se lève et que l’on enterre les morts là où le soleil se couche ; et d’autre part, dans des lieux aussi sombres que les églises d’alors, avoir le soleil face à soi permet d’avoir son missel éclairé par la lumière du jour plutôt que de lui faire ombrage avec le soleil dans le dos.
(L’ancienne villa romaine tant appréciée de Lambert. À gauche, le cœur occidental de la future cathédrale, où devait se trouver la chapelle dressée par Hubert.)
Le temps passe. Nous sommes en 881. Les Normands (Saletés de vikings !) attaquent la ville pour la ixième fois en 60 ans et cette fois arrivent à leurs fins. Les incendies détruisent église, monastère et bâtiments annexes. Tel le phœnix, la cité ardente doit renaître de ses cendres. C’est décidé, l’ancienne église sera rebâtie mais dans le style du moment. En effet, en quasi 200 ans, de l’eau a coulé sous les ponts de la Légia. Les Empereurs Francs se sont succédé, les derniers étant Charlemagne, puis Louis le Pieux, puis à présent Lothaire. Avec eux, l’émergence de l’ère Carolingienne et l’apparition d’ordres monacaux organisés selon les règles bénédictines. C’est donc décidé, outre un monastère clos abritant les moines, l’église sera reconstruite de style carolingien. L’évêque s’installera dans le monastère nouvellement reconstruit et l’église sera élevée au rang de Cathédrale. Avec l’ajout d’un transept et le remplacement de l’abside par un cœur digne de ce nom, la longueur passe de 50 à 70 mètres. Avec l’ajout des nefs latérales, la largeur de 15m est portée à 23m. Bien que toujours en berceau plein cintre, les voûtes commencent à monter et les fenêtres à grandir.
(Exemple d’église carolingienne : Saint-Pierre d’Aachen, photo de Willy Horsch.)
100 ans passent… Nous voilà en 978. C’est au tour de Notger d’assumer le rôle d’Évêque de Liège. Et pour l’an 1000, il réserve à Liège un plus grand dessein. Ceci lui vaudra d’ailleurs le surnom de « Notger Bâtisseur. » Il commence l’année même par faire adapter le monastère de Notre-Dame et Saint-Lambert de façon à abriter 60 chanoines. Politiquement, il est hors de question de devoir rendre des comptes systématiques aux Germains. Après des négociations avec Otton II, Liège ne sera plus inféodé aux Seigneurs Germains mais sera une principauté à part entière. Notger sera donc officiellement reconnu Prince-Évêque. Mais il a tant à faire… Liège doit avoir 1000 clochers pour l’an 1000. Les principaux seront donc ajoutés à la cathédrale. Si le chapitre des 60 chanoines du côté oriental offre au vaisseau la dévotion des évêques, il faut également que les clochers lui apportent la majesté des Princes. La majesté des églises ottoniennes est sans équivoque : leur imposant massif formé d’un porche et d’un Narthex à l’ouest, le déambulatoire entourant le cœur, les dimensions encore augmentées de l’ouvrage… Gonflons l’histoire, donnons au narthex les dimensions d’un transept, au porche les dimensions d’un cœur et ce vaisseau sera inébranlable pendant 1000 ans. Problème : qui dit porche dit porte, et qui dit porte à l’occident dit entrée du diable… Qu’à cela ne tienne, on ajoutera donc un second cœur à l’orient, dans la cour du chapitre. Une crypte sera également ajoutée sous le cœur occidental pour accueillir les reliques de l’Évêque Lambert. La cathédrale fait à présent 97 mètres de long pour 37 de large, dimensions auxquelles il faut ajouter environ 30m par 30m de cloître au soleil levant. Son palais fera également face à la façade nord de l’église.
(Cathédrale Saint-Georges de Limbourg en Allemagne, dessinée sur base du même plan et aux mêmes dimensions que la Cathédrale Ottonienne de Notger. Une polychromie similaire est tout à fait concevable, sachant que ces teintes sont celles que l’on retrouve également sur l’église Saint-Barthélemy à quelques centaines de mètres de là.)
S’il meurt avant l’achèvement de sa cathédrale, Notger ne verra pas non plus sa destruction (pour des causes que l’Histoire a relégué au rang de mystère.) Au début du XIIe siècle, en 1106, on sait toutefois qu’une cathédrale romane remplace la cathédrale Ottonienne. Comme souvent, contre les murs de la cathédrale, des maisons sont construites : ça fait un mur de moins à bâtir, toujours ça de gagné pour les artisans et marchands. Le ciel ne sera pas beaucoup plus favorable à la cathédrale romane puisqu’elle sera à son tour détruite par un incendie nocturne en 1185. Les parties enterrées sont sauves. Ce sont toujours d’ailleurs les fondations de la cathédrale ottonienne commandée par Notger. Une partie du cœur occidental peut être sauvée tout comme la crypte. En revanche, le reste est trop abîmé par l’incendie.
(Un chapiteau de colonne de la cathédrale romane de Liège, un des rares vestiges retrouvé, photo de Michel Wal)
Bien que n’étant plus de première jeunesse, l’Évêque Raoul de Zähringen (qui mourra 6 ans plus tard) commande la reconstruction d’une cathédrale et à nouveau dans l’esprit de ce qu’il y a de mieux à cette époque. Nous sommes à la fin du XIIe siècle, le style gothique est né. Partout en Occident, les évêques s’arrachent les architectes et artisans les plus réputés afin d’avoir la cathédrale la plus grandiose qui puisse être. Lorsque les travaux débutent, déjà plusieurs chantiers de cathédrales gothiques ont permis de pousser le concept dans ses derniers retranchements et Liège bénéficie donc de toute cette expérience. C’est ainsi que, arrivant un peu plus tard, elle deviendra la cathédrale la plus grande d’Europe et donc la plus grande… du monde.
Les chiffres ont de quoi donner le vertige :
- Une flèche à 135m (la plus haute alors était Notre Dame de Paris avec ses 96m.)
- Une clef de voûte à 30m de haut (Noyon et Laon avaient péniblement atteint 25m)
- Une longueur intérieure de 97m (Langres atteignait 94m)
(Maquette de reconstitution de la Cathédrale gothique par Joseph Delacroix à la fin des années 1970 et reconstitution vidéo de Moshe Abramowitz) - Image cliquable -
Si Notre Dame d’Amiens, débutée plus tard et construite de 1220 à 1402 a pu faire tomber le record de la clef de voûte la plus haute en la montant à 42,30m et une longueur intérieure de 133,50m, Notre Dame et Saint Lambert de Liège conservait le record de la flèche la plus haute.
Le chantier de la Cathédrale de Liège, débuté en 1185 allait être achevée en 1352 pour la cathédrale à proprement parler et 1468 pour le cloître. Fierté des Prince-Évêques, des artisans et Maîtres d’œuvres, elle allait rester debout plusieurs siècles. Mais les Prince-Evêques, mêlant pouvoir civil et religieux allaient au fil du temps éveiller de plus en plus la fronde de la population.
En 1789, la Révolution éclate en France. Le 14 juillet, à Paris, la Bastille est prise, le 26 janvier 1793, Louis XVI est décapité. Le 16 octobre 1793, c’est au tour de Marie Antoinette de perdre la tête. La nouvelle se répand. En 1794, les Liégeois, bien décidés à embrasser la Révolution décident de porter un coup de grâce au Régime des Princes Évêques, ils entreprennent la démolition de la cathédrale. Au moment de sa démolition, elle était toujours la plus haute du monde.
(Plan de la cathédrale achevée, auteur inconnu, et vidéo de Manuel Gallego reprenant la modélisation vidéo précédente sous d’autres angles, superposée à des photos et gravures d’archive) - Image cliquable -
Il faudra attendre 1822 et l’invention des charpentes métalliques pour que Rouen, en reconstruisant sa flèche, en porte la hauteur à 151m.
Sources :
Histoire de la Cathédrale de Liège : ici, ici, ici et ici
Dates clefs de l’Histoire de Liège : ici
Histoire du Palais des princes évêques, face à la façade nord de la Cathédrale : ici
Le contexte Carolingien : ici
Charlemagne : ici
Louis-le-Pieux : ici
Lothaire : ici
Les corporations d’artisans à l’époque gothique : ici
Les églises les plus hautes : ici
La cathédrale d’Amiens : ici et ici
La cathédrale de Langres : ici
La cathédrale de Rouen : ici
La mise à mort de Louis Croix-Vé-Bâton : ici
Marie-Antoinette perd la tête : ici
Lieux à visiter pour en découvrir davantage :
Archéoforum : Place Saint-Lambert, 4000 Liège (sous l’ancien coeur occidental),
Trésor de la cathédrale : Rue Bonne Fortune 6, 4000 Liège (à côté de la place Saint-Paul),
Église Saint-Barthélemy : Place Saint-Barthélemy 8, 4000 Liège (Là où ont été transférés les fonds baptismaux en fonte de la Cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert, une pièce d’orfèvrerie exceptionnelle dont les fondeurs d’aujourd’hui se demandent encore comment elle était techniquement réalisable),
Tous les bâtiments de liège construits entre 1794 et 1929 : les ruines de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert ont été utilisées comme carrière à ciel ouvert de sorte que toutes les maisons se sont construites ou réparées en "empruntant" des pierres à la Cathédrale...
Et bien sûr, ceci n’est qu’une toute petite introduction...